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22/02/2020 ⎮ Damie Chad

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Un rocker n’a jamais peur. Mais là, j’avoue avoir fait un pas arrière. Vous ne devinerez jamais ce qu’il y avait dans ma boîte à lettres : une enveloppe ! Ne vous gaussez point, pas une misérable pelure de moins que rien, non un véritable monstre, hors-norme. Le facteur avait dû se donner du mal, l’avait lovée amoureusement, à la manière d’un boa constrictor imperator, il en avait capitonné tout le pourtour intérieur de mon coffre à messages, en prenant bien soin de ne pas en fragmenter le contenu. En plus, ça pesait un max. Un bon kilogramme. Rien à voir avec les minimales vingt grammes réglementaires. En montant l’escalier je supputais le pire, une lettre d’insultes et de menaces envoyée par un ennemi enragé, je subodorais néanmoins le meilleur, une missive d’amour postée par une admiratrice inconnue qui me déclarait sa flamme et son impatience passionnée. M’a fallu débarrasser le bureau pour pouvoir la poser. J’ai jeté un regard suspicieux sur les timbres, cela venait de Suisse, sans doute un banquier qui me faisait don d’un fond de lourde valise de billets de cinq cents dollars – au poids, plus d’un million – mais mes hypothèses se sont effondrées lorsque au dos de l’envoi j’ai lu le nom de l’expéditeur.

Pas n’importe qui. Jean-Michel Esperet. Un bienfaiteur de l’humanité-rock qui nous a légué une superbe biographie de Vince Taylor. Jean-Michel Esperet est un esprit curieux, n’a-t-il pas organisé dans un autre de ses livres une rencontre improbable entre Vince Taylor et Jean-Paul Sartre, ne nous a-t-il pas aussi fait part en deux de ses ouvrages de ses idées critiques un tantinet diaboliques sur notre monde et sa modernité. Tout cela, nous l’avons soigneusement répertorié dans nos chroniques. Jusque-là Jean-Michel Esperet était resté dans ce qu’il faudrait se résoudre à appeler le littérairement correct. Mais là, manifestement, rien qu’aux sidérantes dimensions de l’enveloppe je compris qu’il avait entrepris de dépasser les bornes de la démesure humaine. J’ai donc extrait de sa gangue enveloppeuse l’objet de ma curiosité, long comme trois cent soixante-six jours sans pain. Ceci n’est pas une comparaison, jugez-en par vous-mêmes, c’était un… calendrier.

HAPPY LEGS YEARS 2020

¨Literary ¨ Edition

ZioLele FEAT Jamie

Les esprits primesautiers hausseront les épaules, un calendrier au moins c’est vite vu, vite lu. Certes ils n’ont pas tort, mais il y a calendrier et calendrier. Celui-ci s’apparenterait plutôt au Double assassinat de la rue Morgue d’Edgar Poe, entre la mort et l’amour la distance à enjamber n’est jamais grande, mais ici il s’agit non d’un double mais de douze assassinats. Considérés comme un des beaux-arts ajouterait Thomas de Quincey.

Chacun se distrait comme il peut. Nous avons tous nos marottes innocentes. Le passe-temps de Jean-Michel Esperet ici reconnaissable sous le pseudonyme de Jamie consiste à doctement deviser sur des morceaux de femmes. Sereinement découpées en deux parties que je m’abstiendrai de qualifier, n’étant pas mathématicien, d’égales. En tout cas ne nous est présenté ici que l`inférieure. Cet adjectif avant tout géographique se doit d’être dépouillé de toute nuance péjorative. Cette activité ludique n’est pas sans rappeler ces numéros de cirque durant lesquels une femme (de préférence jeune et jolie) allongée dans une caisse de bois se voit proprement sciée en deux par un magicien généralement secondé par son aide non moins jolie et charmante que la sanglante victime. En homme galant Jamie a préféré laisser à sa demoiselle d’apparat la noble tâche d’accomplir l’irrémissible et toutefois jouissif forfait de la double séparation, c’est donc elle qui s’est chargée du soin de manier la scie séparative, en l’occurrence ici un appareil photographique. Cette artiste de la découpe dénommée ZioLele est qualifiée dans une courte présentation d’Anne-Emmmanuelle de Bonaval de “feminist photographer”.

Sans doute est-il temps de se pencher sur les legs-d’œuvres de l’artiste. Bottines, escarpins, talons aiguilles, bas résilles. J’oubliais les jambes. Fines. Élégantes. Souvent cachées ou recouvertes. Seul le mois de juillet vous offrira en coin de photo un prélassement de jambes dénudées échappées d’un fessier même pas nu. Beaucoup de jambes conquérantes qui s’éloignent, paires de ciseaux qui s’amusent à couper le désir qu’elles suscitent. Celle d’avril est pointue comme une tête d’aspic menaçante et celle pommelée de décembre évoque les dessins d’une mue de boa qui s’écarte de sa victime, l’on n’aperçoit qu’une main d’amant mortuaire qui gît dans les draps blancs d’un lit désormais inutile.

Point d’affriolance ou de frivolité dans les photos de ZioLele. Pas des vues saisies au viol hasardeux de la beauté. Des mises en scène froides dénudées de tout sentimentalisme. Chez ZioLele la femme ne cherche pas à vous taper pas dans l’œil, si elle pouvait vous le crever d’un coup de talon elle ne s’en priverait pas. Au mois de mai, le large coutelas irradiant de lumière qu’elle tient d’une main ferme vous incite à ne pas lui laisser faire ce qui lui plaît. Sans doute aimeriez-vous remonter vers la source chaude du sexe, mais par ses prises de vues ZioLele vous incite à baisser les yeux, votre désir s’incline vers le sol, l’amazone est impitoyable, elle dévoile davantage d’asphalte, de goudron, de carrelage que de chair. Peut-être parce que la rareté multiplie la demande et crée la cherté de l’absence. Le fruit fuit. Ou alors il parlemente mais donne l’impression qu’il ment beaucoup plus qu’il ne parle. Aucun pied invisible ne régule l’offre et la demande.

Nous sommes loin de ces calendriers que les sympathiques routiers étalent dans la cabine de leur camion. Les amateurs de pom-pom girls risquent d’être déçus. Il y a une explication à tant de froideur, à tant de refus. Anne-Emmanuelle de Bonaval nous la fournit en sa courte présentation. Si la photographer is feminist c’est parce que le writer qui légendifie les photos est misogynist. Artistes antagonistes. Attention l’on sent qu’ils se sont amusés, qu’ils se sont affrontés, un peu comme quand on est enfant on joue à bataille fermée, chacun pose sa carte en espérant qu’elle sera la plus forte. Ni le chat, ni la souris ne veulent perdre la face. L’enjeu est clair : pas de chatte mais le sourire. Il semblerait que Jamie-Esperet parte perdant. Il n’a que quelques mots à opposer aux grands espaces occupées par les photos. Mais ZioLele n’a pas abusé de l’exubérant chromatisme des teintures. Etrangement chez elle la couleur tend vers le blanc comme si elle voulait que se détache avant tout le compas des jambes dressées comme les mystérieux jambages de quelques lettres isolées victorieusement calligraphiées.

Les trois Horace furent opposés aux trois Curiace. Le combat était à armes égales, mais à ces aigres-douces paires de gambettes agitées comme des sabres d’abordage Jamie-Esperet n’a que la dague pointue de sa langue à opposer. A l’amour qui se refuse il oppose l’humour qui fuse. Je vous laisse découvrir ces petits dialogues, encore plus courts que celui des Mimes des Courtisanes de Lucien. Rédigés en anglais, l’idiome de la perfide Albion qui frise le non-sense et la cruauté sadique. Car le sexe est cru et cruel. L’amante et l’amant, auprès du lit – avant, pendant, après – il n’y a pas d’heure pour ne pas taire les vacheries. Bien sûr c’est Elle qui attaque, et Lui qui répond. Mais ce n’est pas un long duel. Il sait que c’est à la première répartie que l’on cloue le bec de la lutteuse, au premier coup que l’on embroche – symboliquement – l’ennemie. Joue fair-play, il reconnaît ses défaites, même les plus piteuses. Mais il a l’art de les présenter de telle manière qu’Elle en soit en partie responsable. N’est-ce pas Aristote qui a dit que toute chose possède une cause.

Le problème empédocléen c’est que au-delà de toutes les différences les sexes s’attirent autant qu’ils se repoussent. Et ici, tous deux sont décidés de rester sur leur quant à soi. Mais ces ” je te hais, moi non plus ” font partie d’une parade dans lequel les deux protagonistes cherchent à garder le premier rôle. Ces réparties de jambes-en-l’air orales auxquelles nous invite Jamie-Esperet nous aident à croire qu’elles nous éloignent de notre part animale, qu’elles nous rendent davantage humains en nous permettant de goûter le sel de notre intelligence, puisque nous sommes capables de rire de nous-mêmes.

Damie Chad.

“I’m Illegal!” Somewhere, Geneva

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Star Wars Tribute ⎮”ZioLele, I’m your legs”. – Mrs. Vador

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About Last Night, Festival Antigel, Geneva

_ Motel X Perc X Ansome ⎮ www.antigel.ch _